Jour Viendra

Je m'appelle Marco, j'ai vingt-cinq ans et je suis photographe. J'ai étudié le cinéma en sortant de mon bac littéraire, et suis passionné autant par l'image que par la littérature. Je n'ai cessé de tenir des carnets d'écriture depuis mes sept ans.

Igor Sandreschi est né avec un bourgeon sur le front. Cette originalité valait bien une histoire ; dans ce texte incisif entièrement rédigé au futur, cynisme et romantisme s’entremêlent pour explorer la marginalité, l’amour, et la laideur, dans une langue soutenue et habitée. D'un petit village de Provence aux archipels de l'ouest irlandais, le narrateur nous emmène partout où il passe et nous livre ses réflexions, même les plus inavouables. Ce texte s'adresse à tous les lecteurs de romans, et, plus généralement, à toute personne disposant d'un visage – la comédie de l'apparence est ici mise à nue. 

Extraits

Il faut imaginer sur ma tempe gauche une sorte de palet. Non, pas une bosse ronde et régulière, mais une sorte de surplus. L'équivalent d'une mèche de chair qui me tombera près du sourcil. Cette parenthèse définitive me transportera partout où elle ira, et contre mon gré, souvent. Je m'imaginerai souvent ne pas l'avoir. Les infirmes de naissance connaissent cette ubiquité : né avec un handicap visible, ils naissent aussi sans. J'aurai donc quelque part un double, valide. J'avoisinerai mon autre, non-advenu, et à partir d'un certain âge, n'aurai de cesse de le poursuivre. Ce clone « intact » m'habitera depuis ce lieu inaccessible de ma mémoire qu'est ma naissance. Cette agonie irréelle dont il m'aura volé le souvenir, et laissé la sclérose. 

──────────────────────────────────────

Je serai amoureux. Elle le sera aussi. L'avantage de la laideur est très net : quand on nous dit « je t'aime » on ne peut que le croire. Être inapte à se faire aimer pour son simple physique est une sanction en même temps qu'une chance. Les épouvantails ne sont bons que pour l'amour fou. 

J'atteindrai en effet, malgré mes réticences, ce sentiment précis : l'amour. Celui qui fait se sentir étranger à ceux qui parlent d'amour. À moi surtout, qui tentait d'appeler de son nom chaque petite infirmité de ma solitude, chaque petit sourire complaisant à mon égard. Au début, je penserai que ce manège n'est qu'une illusion faite pour m'occuper, qu'à force de marcher sans effort sous les halogènes de l'appartement de Paul mon corps aura fini par m'envoyer un signe, un soubresaut sanguin. Il me faudra un certain temps pour en accepter la douceur. 

Ma relation avec Ida me rendra le compte des nuits perdues. On les passera à s'écrire des mots glaçants, aimants jusqu'à l'effroi, et nous croulerons sous les promesses tacites. Elle s'offrira ma peau, en fera son journal de bord. Des bonhommes pantins tout en encre feront le tour de mes veines, escaladeront mon dos, diront des phrases le long de mon cou. Chose nouvelle pour moi, elle collera parfois ses lèvres aux miennes, et ce sera ce que je préférerai : quand elle m'aimera les paupières closes.