L'Histoire ordinaire du handicap douloureux

Né en Afrique juste après la fin de la colonisation, très vite, c'est enfant que j'ai intégré que le monde où je devais vivre n'était pas forcément le mien ou le bon.

J'ai pu découvrir le monde... Ses beautés et ses souffrances...
J'ai pu m'ouvrir à d'innombrables cultures...
J'ai pu souffrir de l'amour fusionnels...
J'ai pu voir mes enfants grandir...
J'ai pu vivre avec passions...

Au prix d'un combat incessant qui finit par épuiser le corps et l'esprit.
Malgré le handicap, se battre avec RAGE.

Le handicap a quelque part détruit toute ma vie, mes espérances, mes rêves, mes passions... Même si après 61 ans, j'ai pu faire de ma vie une espérance acceptable...
J’ai immensément aimé, j’ai perdu, j’ai affreusement souffert et j’ai ri. Chaque instant, chaque éclat de vie a sculpté l’être que je suis aujourd’hui, au seuil du crépuscule, où la lumière s’adoucit, où l’urgence cède place à l’essentiel.
La Rage m’a porté. Elle m’a empêché de sombrer, elle m’a fait avancer là où d’autres se seraient laissés dériver.
Aujourd'hui, je souhaite partager cette Rage, cette résilience afin que tous ceux qui se cachent, par peur de la différence et du harcèlement permanent relèvent la tête et osent... Osent vivre dans cette injuste différence... Osent vivre autre chose que dans la soumission, l'accablement, l'écrasement, l'avilissement, l'abaissement, la douleur et le rejet... Osent juste montrer qu'ils existent... Dans cette société qui les efface...

Extrait du livre : 

Le moment de ma naissance fut ce que l'on pourrait appeler une aventure barbare...

Jonchée de douleurs indescriptibles, de sang, de cris, de doutes, de violences...
Ma vie n'a tenue qu'à la lutte acharnée de ma mère et du médecin qui se battirent des heures durant à m'extirper de cet enfer...
Je n'ai poussé aucun cri... Jamais... Recroqueviller, Tremblotant, Sanglotant mais surtout regardant...
Un bras gauche cassé dans ce combat, des mains massacrées par une génétique hasardeuse, un cœur hoquetant déchiqueté par une croissance interrompue....
Calé sur la paillasse, mes yeux grands ouverts - interrogateurs – je découvraient le monde de l'absurdie....
Cette barbarie partagée entre ma mère et moi fut, je crois, l'origine d'une certaine fusion comportementale...
Nous avons, notre vie durant, partagé sur un regard, un mot, des gestes, un toucher, des situations...
En revanche, quelque part enfouie au fond de notre inconscience, ces douleurs échangées durant mon arrivée ont freiné l'expression physique de l'amour filiale entre une mère et son fils... Je regrette tellement aujourd'hui de ne pas lui avoir dit beaucoup plus souvent que je l'aimais et que rien de ce qui m'était arrivé ne lui était reproché.
Je ne me souviens pas avoir été un enfant joyeux... J'ai vite compris que l'apparence heureuse de façade soulageait tout le monde...
Mais au fond de mon âme, existaient une tristesse, une colère, une violence qui ne m'ont jamais quitté...
Beaucoup de pleurs intérieurs, beaucoup de massacres inventés, beaucoup de vengeances imaginées... M'ont fait subsister jusqu'à cet période de bascule où l'on est sensé entrer dans l'âge adulte...
J'y suis bien entré... Toujours triste, en colère et sans joie... Et cette devanture souriante de façade...
Très vite - trop tôt - conscient de ma différence et d'une société sans aucune empathie pour les gens de ma classe et de ma caste, tout mon temps, tous les instants ne furent que combats pour creuser une place, un abris, un monde à moi où je pourrais réaliser certains de mes rêves...

Je me suis épuisé... Je suis épuisé...

Je sais au fond de moi que ce combat est perdu... Mais chaque bataille remportée me donne ce répit nécessaire à de furtifs instants de plaisirs pour de pas dire joie ou bonheur... Ce que je gagne sur le temps fait de moi un être plus fort... Plus combatif... Mais à quel prix ?
Je ne suis pas un homme joyeux... Et tous mes sourires ne sont que devantures afin de tromper "ceux d'en face" pour qu'ils me laissent "tranquille".
Je lutte contre la maladie, le handicap et contre une humanité déliquescente, abjecte, perdue, méchante... pour quelques moments de paix de mon corps et de mon âme...