Assiè (terre)

Emmanuela Kouakou est une écrivaine franco-ivoirienne qui a fait de son récit une quête de lumière. Née en Côte d'Ivoire, elle puise dans son histoire personnelle et ses racines la matière d’un récit universel, transformant le vécu en une résilience poétique.

Son tout premier roman, Assiè, s'inscrit dans la lignée des contes : une littérature où la fiction magnifie la réalité brute du vécu. À travers Assiè, elle célèbre la résilience, la foi et l'affirmation de ceux qui refusent de se définir par la douleur.

Assiè est une fiction née d’un moment de silence et de prière, dans un 30 m² où l’imagination est devenue refuge et renaissance. À travers Eyoli, l’héroïne du roman, j’ai voulu raconter une histoire qui dépasse la maladie pour parler de ce que nous faisons de nos blessures. Un jour, tout bascule : un corps qui ne répond plus, un regard qui change, une vie qui semble s’effondrer.

Ce livre est né de cette fracture-là de ce moment où l’on se demande : “Pourquoi moi ?” avant de découvrir qu’au cœur de la douleur peut naître une autre forme de lumière. Assiè plonge ses racines dans les contes africains, dans la mysticité et la sagesse du peuple, mais s’élève aussi vers l’universel : celui de la résilience, de la foi, et de l’acceptation de soi.

À travers la voix d’Eyoli, j’ai voulu donner visage à ceux que la société regarde autrement ceux qui, touchés par la maladie ou le handicap, apprennent chaque jour à vivre pleinement malgré tout. Ce roman parle de la force invisible qu’on découvre quand tout semble perdu, de cette voix intérieure qui nous dit que la vie, même cabossée, garde un sens. Il s’adresse à tous : à ceux qui ont souffert, à ceux qui accompagnent, à ceux qui croient encore au miracle des recommencements.

Derrière la fiction, il y a une part de mon histoire celle d’une enfant tombée malade trop tôt, contrainte de grandir avant l’heure, d’affronter la vie sans vraiment comprendre contre quoi elle se battait. Pendant des années, j’ai avancé dans le flou, sans diagnostic, avec pour seules armes la foi, l’espérance et l’envie de continuer à rêver. J’ai aimé rêver grand, même quand mon corps me rappelait ses limites. J’ai aimé croire qu’il y avait toujours une porte quelque part, même minuscule, même cachée, une lumière au bout du tunnel. J’ai appris à ramper quand je ne pouvais plus marcher, à espérer quand tout semblait perdu, à sourire même dans la douleur. Me battre pour exister, pour être “assez”, pour prouver que je n’étais pas réduite à cette maladie, est devenu ma façon de vivre et d’aimer la vie.

Ce livre, Assiè, c’est ma manière à moi de sortir de l’ombre, de dire au monde qu’il y a toujours, même dans la nuit la plus dense, un lever de soleil quelque part. Assiè n’est pas un simple récit, c’est un souffle, un pont entre deux mondes : la tradition et la modernité, l’Afrique et l’universel, la douleur et la renaissance. J’espère que chaque lecteur y trouvera un écho à sa propre vie, et comprendra que, même dans la fragilité, il reste toujours une promesse de beauté.

Extrait  

48 heures s'étaient écoulées et Eyoli donna enfin signe de vie. Jinà, qui était extrêmement inquiète de la voir couchée là sans signe de vie, était émue de voir sa fille ouvrir enfin les yeux après ces longues heures d’angoisse. Eyoli boitait, mais cela n’avait rien d’alarmant, puisque sa morsure était en pleine cicatrisation. Cependant, plus les jours passaient, plus elle continuait d’avoir du mal à se tenir normalement sur ses deux pieds. Elle commençait à avoir des mouvements assez anormaux au niveau de ses membres gauches, ce qui commençait à ne laisser personne indifférent, car cela devenait de plus en plus alertant. Elle plaçait parfois son bras dans son dos, et ses doigts s’écarquillaient. On aurait dit qu’on lui tordait le bras de force. Ses doigts de pied étaient pareils. Quand elle marchait, on aurait dit qu’elle luttait pour pouvoir mettre un pied devant l’autre.

« Qu’arrivait-il à Eyoli ? » se demandait Jinà.

Elle posa la question à sa fille pour savoir si elle avait mal, mais Eyoli lui répondait toujours « non ».

« Mais pourquoi prends-tu cette posture, qu’est-ce qui se passe ? » demanda Jinà.

« Je ne fais pas exprès, maman… » répondit Eyoli.

Pierre était allé à Abidjan pour le travail. Jinà l’appela toute paniquée en lui disant :

« Pierre, je crois qu’on a jeté un sort à notre fille. Eyoli est devenue... »