Ce que remontent les flots

Que ce soit par l’humour de mes spectacles de café-théâtre (« Jusqu’où on peut aller trop loin », « Port du casque obligatoire »), par la forme plus didactique de mes écrits sur les Arts Martiaux (« La Voie projective »), les contes pour adultes (Au rat du mur », « Le soldat casqué qui doutait de tout », « La peur des ogresses ») ou par un roman « non policier » (« Monsieur-Chien »), je m’efforce en tant qu’auteur de transmettre le goût du doute raisonnable.

« Ce que remontent les flots » est un roman que je qualifierais de « non policier » au sens qu’il n’emporte pas la lecture sur le chemin d’une logique discrètement autoritaire aux signes bien articulés. Ici, crimes et délits s’imbriquent, comme s’entrecroisent, voire se confondent, les victimes, les témoins et les coupables. Vous y rencontrerez un écheveau de faits, intentions et interprétations à démêler, si vous le souhaitez. Ou vous pourrez vous contenter de ressentir le doute et de l’interroger plus tard, le livre fermé.
Les concepts philosophiques sont là, dans nos quotidiens et si les questionner exige de la part de chacun. e quelque rigueur intellectuelle, cette démarche ne disqualifie personne par avance. D’ailleurs, Carlotta, l’héroïne du roman, est une ouvrière, à priori non-philosophe, qui part de son quotidien, bousculé par les flots d’une inondation dévastatrice, pour interroger de probables théories.

J’espère ainsi que vous, lecteurs et lectrices, trouverez, en soutenant ce projet de livre, une complicité réelle, liée à notre besoin commun de tolérance. Ce doute raisonnable.

Extraits du livre

Page 7…

« … Plus tard, lorsque les flots seront passés, quand le peu qui aura pu être sauvé sera mis en sûreté, quand les visages aimés seront retrouvés, quand les peurs seront apaisées, les regards attristés se poseront sur le sol meurtri. Ces yeux-là verront dans la boue séchée, la gangue mauvaise des négligences, des mépris, des orgueils et des crimes.

Alors, par une dernière vague de malheurs, de ces décombres nauséeux apparaîtra à chacune, à chacun, son cadavre. » N. L. Septembre 2008

Pour être honnête, je dois avouer qu’il me fallut relire deux ou trois fois certains paragraphes et, malgré cela, je me demandais toujours qui avait bien pu déposer ce petit livret, là, dans la maison des syndicats. Peut-être quelque employé s’était-il attelé à la photocopieuse, trop « illuminé » pour se faire éditer, mais porté quand même par l’espoir de rencontrer un lecteur de grande patience, ou une lectrice comme moi, curieuse et désœuvrée ? Cet auteur était sûrement un peu délirant, ou tout simplement traumatisé par la violence d’une inondation. Un gars ou une femme modeste qui aurait vécu un événement hors du commun… En 2008 ? Car il y avait bien eu, dans ces années-là, une crue énorme.

Sans oublier le krach boursier. »

Page 23…

« Bien que la matinée soit à peine entamée, la pénombre dans laquelle est plongé le grand atelier crée une ambiance étrangement dramatique. Les courants d’air humide filent en tous sens, écrasant sur les murs poussiéreux leurs sifflements mauvais. Luc Delmas croit entendre les tambours d’une charge guerrière, ceux des automitrailleuses montant à l’assaut d’un poste avancé. On se demande tous pourquoi il nous dit ça.

— Pas moyen de foutre le nez dehors ! s’exclame Pozki en revenant dans l’atelier. Je voulais prendre un truc dans ma bagnole, mais y a de la flotte partout, si ça continue, on va se retrouver complètement bloqués ici.

D’un seul et même mouvement, notre petite troupe se dirige vers la sortie pour constater de visu cette annonce d’apocalypse.

— Putain ! Regardez ça, y a de l’eau jusqu’à mi-jante ! souffle Jean-Pierre en tentant de repérer sa voiture au travers du rideau de pluie… »