Un hôpital sans importance

L' auteur est médecin urgentiste. Après avoir débuté sa carrière dans un SAMU, il a choisi la médecine d' urgence intra hospitalière et a créé un service d' accueil dans un hôpital de proximité où il a exercé en tant que chef de service pendant plus de vingt-cinq ans.

À travers une série de portraits, soignants ou non, et d’anecdotes, parfois incroyables voire amusantes, et pourtant toutes véridiques, l’auteur raconte comment on est parvenu à fermer son service d’urgences qui rendait pourtant de grands services, puis, finalement, l’hôpital tout entier. Il s’adresse donc à tous ceux qui vivent dans un désert médical et qui sont soucieux de l’avenir de leur hôpital de proximité. Les professionnels de santé y trouveront aussi une description des techniques utilisées par l’administration pour parvenir à ses fins dont la plus évidente est de « diviser pour mieux régner ».

Extrait

En plus, à l’époque, les MICA, mesures incitatives à la cessation d’activité, poussaient les médecins et chirurgiens hospitaliers à partir en retraite avant même l’âge légal : les économistes de la santé pensaient alors que, moins il y aurait de médecins, moins il y aurait de prescriptions et donc moins il y aurait de dépenses.

Les économistes de la santé sont avant tout des économistes et leur raisonnement repose sur le dogme de la loi de l’offre et de la demande. Mais le « marché » de la santé a ceci de spécifique que personne ne demande à être malade, personne ne demande à vieillir et personne n’a envie de se faire « offrir » des soins. La loi de l’offre et de la demande ne peut et ne doit pas s’appliquer à ce marché. Et, si mettre un médecin à la retraite ne prend que quelques semaines ou mois, former son remplaçant demande au moins dix ans. Voilà comment, entre autres causes, on en est arrivé à la crise démographique médicale actuelle.

Tout alla très vite. Le blessé avait déjà été mis sous anesthésie par le SMUR. On l’emmena directement au bloc. Une transfusion était prête. Damien n’avait pas encore fini de se préparer que le chirurgien commençait déjà la sternotomie. Les dégâts étaient bien sûr considérables. On put extraire la balle et quelques autres débris, mais surtout on constata une plaie du cœur qu’il fallait absolument réparer au plus vite. Damien fut chargé de tenir le cœur battant entre ses mains pour qu’il bouge le moins possible. Mais, en le serrant trop fort, la pompe se désamorçait et le blessé passait en tachycardie ventriculaire, une forme de quasi-arrêt cardiaque. C’est une expérience très particulière et difficile à décrire que celle de tenir un cœur battant entre ses doigts… Peut-être comme une grappe de raisin qui vous tomberait dans la main à chaque seconde...

Encore aujourd’hui, Damien se dit que cet homme n’aurait pas survécu sans la présence et la compétence de ce chirurgien. Il n’aurait sans doute pas tenu le coup s’il avait fallu prendre le temps de l’emmener au CHU, même en hélicoptère, si on avait voulu lui faire un scanner avant l’intervention voire lui installer une circulation extracorporelle.

Bien sûr, il lui fallut quelques semaines de réanimation mais notre homme survécut ensuite plusieurs dizaines d’années…