L’âne, les figues, il les mange !

Je suis une enseignante d’anglais nomade. J’interviens dans différents établissements du secteur public et mes étudiants ont tous les âges. La diversité de ces interactions me ravit depuis plus de vingt ans. Dans un passé lointain, j’ai exercé de nombreux métiers qui étaient aux antipodes de la personne que je suis. Je suis mariée et maman de deux jeunes adultes, un garçon et une fille qui me comblent de bonheur tous les jours. 

Le titre fait référence à l’expression qui nous vient de la région marseillaise où s’inscrit l’histoire « Tuer un âne à coup de figues ». L’action semble irréalisable ou tout au moins particulièrement longue à l’image de la mort symbolique de l’héroïne. Il évoque également la légende de Chrysippe de Soles, un philosophe stoïcien du IIIe siècle avant J.-C. en Cilicie qui aurait succombé de rire en voyant l’animal manger le fruit. Dans une moindre mesure, j’espère qu’au fil des pages, vous trouverez souvent des occasions de sourire.
 

Tout à la fois guignarde et maladroite, c’est dans sa précipitation à quitter Marseille pour son nouveau logis dans les Alpilles que Célestine embarque avec elle des Marseillais pure souche aux origines florentines lointaines. Les vingt-deux arcanes du Tarot de Marseille, un creuset de profondeur et de symbolique qui représente dignement l’épaisseur de chaque personnage et à partir desquels les vingt-deux chapitres du roman se dessinent. Situations rocambolesques, quiproquos gênants et moments émouvants vont être apportés par l’atypisme des protagonistes parce que si notre héroïne a la plupart du temps la tête dans les étoiles et des étoiles plein la tête, elle reste avant tout une idéaliste engagée qui connaît des retombées brutales régulières.
Dans ces moments-là, point de langue de bois, ni de ronds de jambe et les bonnes manières partent aux oubliettes. Loin de s’affadir avec le temps, son impétuosité reste des plus virulentes et c’est au mépris de toutes les convenances que sa gouaille marseillaise épouse les contours flous de la familiarité et de la grossièreté.
 

Extrait du livre : 

Cette fois, encore, elle s’était surpassée, elle avait signé le compromis le matin et le soir même, le Président annonçait que le pays était en guerre contre un ennemi invisible, que tout serait mis en place pour assurer la sécurité des concitoyens et que l’état d’urgence était dorénavant proclamé. Cet avis fut suivi d’un autre et d’autres encore. Bref, une longue période de confinement renouvelable prenait vigueur dès le lendemain. Ces perturbations intempestives ne l’étonnaient même plus. Néanmoins, ce fameux soir du 16 mars de l’an deux mille vingt aux abords des vingt heures, Célestine avait chanté Manon comme on dit à Marseille, tout à fait consciente de l’exubérance de son nombrilisme.
— Ça va être facile encore l’histoire ! Qui va acheter mon appart, maintenant ? Putain !
Le compromis des trois mois lui permettrait d’annuler la vente avec la clause suspensive. Ce n’était pas ça le fond du problème, ce qui avait amené l’irritation à son comble, c’est le temps qu’elle avait mis à trouver la perle rare, des années… Et le stress engendré pour choisir l’option du grand plongeon. Luis commentait toujours ses histoires rocambolesques avec une remarque affectueuse et son sens de la formule réussissait à la faire rire, peu importe les circonstances :
— Toi, tu m’épateras toujours. Tu es dans le zag quand il faut être dans le zig et inversement.
C’est une réalité, Célestine remonte inéluctablement à contresens le courant de la société. Elle est une extraterrestre pour beaucoup dont les regards la pétrissent de doutes affreux. Pourtant, ce projet de partir, elle en avait un besoin viscéral comme une urgence intérieure inexplicable. Les mois qui avaient précédé sa prise de décision d’abandonner son appartement avaient été épuisants. Une partie d’elle savait que ce n’était pas raisonnable à son âge de tout recommencer ailleurs, loin de ses repères familiaux, amicaux et de boulot. Ce premier matin, dans son jardin, elle prend la mesure de la prouesse qu’elle vient de réaliser.