PAUL ET LES AUTRES - Adolescences singulières

À propos des auteures

Tania Becker est mime, comédienne, créatrice de spectacles, dessinatrice, illustratrice. Moi-même, Corinne Ball je suis ergothérapeute et art-thérapeute. J’ai animé durant des années des ateliers de théâtre et d’art plastiques auprès d’adolescents en situation d’handicap.

 Formée à l’expression théâtrale dans les ateliers de Tania Becker à l’American Center, j’ai intégré cette approche dans ma pratique professionnelle. Notre amitié et collaboration artistique dure depuis plus de 30 ans. 

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En tant qu’autrice de ce récit, la participation de Tania à l’élaboration de ce livre fut une évidence pour moi. Son influence fut pour moi primordiale. Sa participation à ce projet est le prolongement naturel de notre histoire.

Il fut un moment dans mon parcours de vie professionnelle où j’ai ressenti une nécessité impérieuse de parler de ces jeunes que je côtoyais chaque jour. Un besoin profond de les nommer, de les faire exister, qu’on les connaisse, reconnaisse – Paul, Baptiste, Juliette, Issam, Ferdinand, Claire… - J’ai longtemps cherché comment témoigner de ce qu’ils sont. Quoi de mieux qu’un récit ?

Ce livre propose un regard intime, loin des clichés ou de l’indifférence que peuvent susciter ces adolescents. À travers des fragments de vie, des scènes d’atelier, des dialogues inattendus, se tisse des portraits sensibles et singuliers que ponctuent les dessins délicats de Tania Becker. Ce sont des morceaux d’histoires parmi bien d’autres dont moi, Corinne Ball, en tant qu’art-thérapeute j’ai été témoin et parfois partie prenante. L’illustration est pensée comme un prolongement poétique du récit. Ni portrait fidèle ni illustration descriptive. La dessinatrice ne surligne pas le texte mais en capte l’essence invisible : une émotion, une ambiance, un silence, une tension. L’objectif est de donner une voix à ceux qu’on ne veut pas voir, les faire exister en tant que sujet à part entière. Ce texte aussi interroge nos résistances et nous confronte à nos propres rejets, gênes, préjugés. Ce livre n’est ni un document, ni une fiction, ni un témoignage au sens strict. Il est tout cela à la fois. C’est un livre qui parle d’eux, mais qui s’adresse à nous tous.

Extrait  

Ferdinand

Ferdinand a 15 ans. Il est tout rond et ne parle pas. Trop compliqué, trop fatigant. Affublé en permanence d’un pantalon de jogging informe, ce qui évite toute manipulation de ceinture et de bouton, il impose une présence bonhomme et placide. Ferdinand fait en sorte de se glisser dans la vie en évitant toute contrainte. Il vit les événements qui se présentent sans réaction particulière, avec une forme d'indolence et de nonchalance. Ce philosophe qui s'ignore, a fait instinctivement de sa particularité, la trisomie, un art de vivre.

Juliette

Il se dégage de chez Juliette, longue jeune fille de 17 ans au beau visage préraphaélite, une apparence de simplicité silencieuse et mystérieuse. Solitaire, Juliette évolue dans un monde qui est le sien et donne le sentiment, ou peut-être est-ce une illusion, qu’elle se suffit à elle-même. Juliette a peu de contact avec son entourage. Elle est là, observe, et affiche la plupart du temps une expression neutre. Parfois quelques rires inexpliqués fusent. Il lui arrive à de rares moments de faire preuve d’un franc parler inattendu. Ce sont des phrases courtes et claires qui témoignent du moment présent. Chaque absence de l’un d’entre nous, jeune ou encadrant, est repérée, signalée. Juliette est une voyageuse. Quand arrive l’été, elle et sa famille partent en camping-car découvrir un nouveau pays, de nouvelles contrées. Juliette apprécie ces moments de liberté sans but précis. La vie nomade lui convient. Elle se laisse aller au gré des voyages comme une plume qui se glisse dans un courant d’air.

Au sein de l’institution, Juliette sur sa patinette, légère et rapide, trace inlassablement, et dans toutes les diagonales, la cour de l’établissement. Comme on visite le monde, Juliette à sa façon en explore chaque recoin, chaque parcelle.